
Les nouvelles armes de communication de l’industrie du tabac en Europe
Face au recul progressif du tabac traditionnel, les industriels ont trouvé un nouveau terrain de jeu : les cigarettes électroniques et, plus récemment, les puffs (cigarettes électroniques jetables) . Ces produits, perçus comme modernes, pratiques et “moins nocifs”, permettent à l’industrie de reconquérir un public qu’elle perdait depuis des décennies. Leur succès, notamment chez les adolescents en France et en Belgique, n’est pas un hasard. Il résulte d’un travail de communication sophistiqué, pensé pour séduire une génération habituée aux codes des réseaux sociaux, à l’esthétique pop et aux tendances éphémères.
Le produit comme vecteur de communication
La première stratégie consiste à transformer le produit en message. La puff n’est pas seulement un dispositif de consommation de nicotine : elle devient un objet à la fois coloré, compact et ludique. Les industriels jouent sur des codes empruntés à l’univers des bonbons et des boissons sucrées : couleurs vives, arômes fruités ou gourmands, design minimaliste. Cette esthétique dédramatise l’acte de fumer et repositionne la nicotine dans un registre “fun” et inoffensif. On n’achète plus une dose de nicotine, mais un petit gadget à collectionner, assorti aux goûts et au style de chacun.
L’influence sociale et numérique
L’autre pilier de la communication est digital. Les industriels savent que les jeunes passent la majorité de leur temps sur TikTok, Instagram ou Snapchat. Là où la publicité traditionnelle est interdite, ils misent sur les influenceurs et les contenus “lifestyle”. Des créateurs diffusent des vidéos ou des photos où la puff est intégrée à une soirée, un look ou un moment de convivialité. L’objet se fond dans un univers festif et branché, loin des messages anxiogènes liés au tabac classique.
Cette communication, souvent déguisée, contourne les réglementations publicitaires. Elle ne se présente pas comme une publicité mais comme une recommandation implicite, un effet de mode auquel il est facile de s’identifier.

Le jeu sur la transgression et l’accessibilité
Une autre technique subtile est de rendre le produit accessible à la fois financièrement et socialement. Avec un prix d’achat bas et une disponibilité dans des commerces de proximité (stations-service, librairies, night shops), les puffs donnent l’impression d’un produit facile, presque banal. Cette accessibilité s’accompagne d’une communication implicite : si c’est partout et si simple à obtenir, c’est que ce n’est pas vraiment dangereux.
L’aspect jetable participe aussi à ce message : contrairement aux dispositifs plus “techniques”, la puff se présente comme une consommation sans engagement, ponctuelle, “pour essayer”. C’est une technique classique de marketing d’appel : lever les barrières à l’entrée, séduire par la facilité, puis fidéliser à travers la dépendance nicotinique.
La rhétorique de la réduction des risques
En arrière-plan, l’industrie entretient un discours pseudo-sanitaire. Les puffs sont présentées comme une alternative au tabac, moins nocive, même comme une aide au sevrage. En Belgique comme en France, ce discours joue sur l’ambiguïté : officiellement, il s’agit de proposer une alternative aux fumeurs adultes. En pratique, cette communication brouille le message, normalise l’usage de nicotine et légitime la consommation par les plus jeunes. On ne vend pas directement aux adolescents, mais on crée un environnement discursif où leur curiosité est encouragée.
La conquête des nouveaux territoires médiatiques
Enfin, les industriels explorent des espaces encore peu régulés, comme les jeux vidéo en ligne ou les univers virtuels émergents. On y retrouve des placements de produits déguisés, des avatars équipés d’accessoires ou des événements sponsorisés. Ces initiatives s’adressent directement à une génération “digitale native”, difficile à atteindre par la publicité classique. La stratégie est claire : occuper en avance les terrains où se construisent les pratiques sociales des jeunes.
Conclusion
En Europe, et particulièrement en France et en Belgique, les puffs ont été le laboratoire d’une nouvelle communication de l’industrie du tabac. À travers le design du produit, l’utilisation massive des réseaux sociaux, l’accessibilité marchande et une rhétorique rassurante, les industriels ont réussi à séduire une cible qui avait largement échappé aux cigarettes classiques.
L’interdiction prochaine des puffs jetables dans ces pays marque une réaction politique forte. Mais il ne s’agit que d’un épisode : l’histoire récente montre la capacité de l’industrie à se réinventer, à détourner les régulations et à créer de nouveaux récits séduisants. Tant que ces techniques de communication resteront aussi souples et adaptées aux codes des jeunes, la dépendance à la nicotine restera un marché en perpétuelle régénération.

- Alliance contre le tabac (2024). Plus de 200 influenceurs ont promu la nicotine sur Instagram depuis 2019. Génération sans tabac. Disponible sur : https://www.generationsanstabac.org
- 20 Minutes (2024, 30 décembre). La cigarette électronique jetable “puff” bannie en Belgique à partir du 1er janvier 2025.
- Euractiv (2024). La Commission européenne donne son feu vert à l’interdiction des puffs en Belgique.
- Medscape (2024, 5 décembre). France : l’Assemblée nationale vote l’interdiction des puffs.
- Moustique (2023, 3 septembre). La France veut-elle aussi interdire la puff ? Que disent les études sur la nocivité de ce produit.
- RTL Info (2023, 10 septembre). “Trop facile de s’en procurer” : à 12 ans, la petite fille de Maryse fume des puffs.
Un article du Service Prévention Tabac
